II
Emerson avait beau décrier le luxe superflu, je notai qu’il ne répugnait point à disposer du confort de l’agréable petite salle de bains attenante à notre chambre. J’entendis les domestiques remplir de nouveau les grandes jarres en terre cuite cependant que j’achevais mes ablutions ; l’eau fraîche était, je dois l’avouer, fort délectable après une journée au soleil et dans la poussière. Emerson prit ma suite, et je souris à part moi en l’entendant entonner gaiement une chanson qui parlait, je crois, d’un jeune homme sur un trapèze.
Nous allâmes ensuite dans l’élégant salon, où un thé tardif nous attendait. Les fenêtres donnaient sur la loggia ombragée de vigne vierge, et le parfum du jasmin imprégnait la pièce. Nous étions les premiers.
À peine m’étais-je installée derrière le plateau à thé que Karl et Mr. Milverton arrivèrent à leur tour. Nous fûmes rejoints quelques instants plus tard par Mr. Vandergelt, qui entra par la porte-fenêtre avec la simplicité familière d’un vieil ami.
— J’ai été invité, m’assura-t-il en me baisant la main. Mais je dois reconnaître que je vous aurais imposé ma présence de toute façon, tant je suis impatient d’apprendre ce que vous avez découvert aujourd’hui. Où est Lady Baskerville ?
La dame fit son entrée sur ces entrefaites, dans un frou-frou de dentelles, une gerbe de jasmin blanc dans les bras. Après une courtoise discussion pour déterminer laquelle de nous deux servirait le réconfortant breuvage, je remplis les tasses. Emerson condescendit alors à livrer un bref mais piquant exposé des découvertes de la journée.
Avec sa générosité coutumière, il commença par mentionner ma contribution personnelle, qui n’était nullement négligeable. J’avais passé les dernières heures de l’après-midi à trier au tamis les débris retirés du couloir. Peu de fouilleurs s’embarrassent de cette corvée lorsqu’ils visent de plus grands desseins, mais Emerson a toujours insisté pour examiner chaque centimètre cube de blocaille – et, dans le cas présent, nos efforts avaient été récompensés. Non sans fierté, je présentai mes trouvailles, que l’on avait disposées sur un plateau : des tessons de poteries, un petit tas d’os (de rongeurs) et un couteau en cuivre. Lady Baskerville manqua s’étrangler de rire.
— Pauvre chère madame Emerson ! Tant d’efforts pour une poignée de saletés !
Mr. Vandergelt se caressa la barbiche.
— Je n’en suis pas si sûr, m’dame. Ces débris ne font peut-être pas grande impression, mais je serais bougrement surpris qu’ils n’aient pas une signification précise – une signification pas très encourageante. Hein, professeur ?
Emerson acquiesça, à contrecœur. Il n’aime pas qu’on anticipe ses brillantes déductions.
— Vous êtes finaud, Vandergelt. Ces fragments de terre cuite proviennent d’une jarre qui servait à contenir de l’huile parfumée. Je crains fort, Lady Baskerville, que nous ne soyons pas les premiers à troubler le repos du pharaon.
— Je ne comprends pas, dit Lady Baskerville en esquissant un gracieux geste de perplexité.
— Mais ce n’est que trop clair ! s’exclama Karl. Cette huile parfumée était enterrée avec le défunt pour lui servir dans l’au-delà, de même que les aliments, les habits, les meubles et autres objets. Nous savons cela grâce aux bas-reliefs des tombes et aux papyrus qui…
— Très bien, très bien, l’interrompit Emerson. Ce que veut dire Karl, Lady Baskerville, c’est que la présence de ces tessons dans le couloir extérieur semble indiquer qu’un voleur a brisé l’une de ces jarres en voulant l’emporter.
— Peut-être a-t-elle été brisée au moment de l’inhumation, suggéra Milverton d’un ton badin. Mes serviteurs ne cessent de casser des choses.
— Si c’était le cas, objecta Emerson, on aurait balayé les débris de la jarre. Non, je suis presque certain qu’on s’est introduit dans la tombe après les funérailles. Une différence de densité dans la blocaille montre qu’un tunnel y avait été creusé.
— Et ensuite rebouché, sourit Vandergelt en menaçant du doigt Emerson. Allons, professeur, vous cherchez à entretenir le suspense, mais je vous vois venir. Le tunnel des pilleurs n’aurait pas été rebouché, ni les sceaux de la nécropole réapposés, si le tombeau avait été vide.
— Vous croyez donc qu’il reste encore des trésors à découvrir ? s’enquit Lady Baskerville.
— Même si nous ne devions rien trouver d’autre que les superbes fresques que nous avons découvertes aujourd’hui, la tombe serait déjà un trésor, répondit Emerson. Mais, de fait, Vandergelt a encore raison sur ce point.
Il adressa à l’Américain un regard noir.
— Je crois, en effet, qu’il y a une chance que les voleurs n’aient pas atteint la chambre funéraire.
Lady Baskerville poussa une exclamation ravie. Je me tournai vers Milverton, assis à côté de moi, qui cachait bien mal son amusement.
— Pourquoi souriez-vous, monsieur Milverton ?
— J’avoue, madame Emerson, que je suis passablement dérouté par tout cet ergotage autour de quelques fragments de terre cuite.
— Étrange réflexion, de la part d’un archéologue.
— Je ne suis pas archéologue, seulement photographe. Cette mission est ma première incursion dans l’égyptologie.
Il détourna les yeux avant d’enchaîner rapidement, en évitant toujours mon regard :
— En fait, j’ai commencé à avoir des doutes sur mon utilité avant même le regrettable décès de Lord Baskerville. À présent qu’il n’est plus là, je ne crois pas… enfin, je pense que je ferais mieux…
Bien qu’il eût parlé d’une voix à peine plus audible qu’un murmure, Lady Baskerville l’avait entendu.
— Comment ? se récria-t-elle. Que dites-vous, monsieur Milverton ? Vous ne songez quand même pas à nous quitter ?
L’infortuné jeune homme passa par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.
— Je disais à Mrs. Emerson que je ne pensais pas être utile ici. Mon état de santé…
— Sottises ! s’exclama Lady Baskerville. Le Dr Dubois m’a assuré que vous étiez en excellente voie de guérison et bien mieux ici qu’à l’hôtel. Il ne faut pas vous enfuir.
— Nous avons besoin de vous, ajouta Emerson. Comme vous le savez, nous manquons cruellement de main-d’œuvre.
— Mais je n’ai aucune expérience…
— En archéologie, peut-être pas. Mais nous avons surtout besoin de gardes et de contremaîtres. Et puis, croyez-le, votre compétence professionnelle sera mise à contribution dès que vous pourrez nous accompagner.
Sous le regard acéré de mon mari, le jeune homme se tortilla à la manière d’un écolier tancé par un maître sévère. L’analogie était frappante ; Milverton figurait l’image même du jeune gentleman anglais d’excellente éducation, et on ne pouvait guère déceler sur son visage franc autre chose qu’un embarras somme toute normal. Néanmoins, je me flatte de savoir lire au-delà des apparences. Le comportement de Milverton était hautement suspect.
La peine de répondre lui fut épargnée. Karl, qui avait examiné avec convoitise les fragments de poteries dans l’espoir d’y trouver des écritures, releva la tête en disant :
— Excusez-moi, Herr Professor, mais avez-vous réfléchi à ma suggestion, au sujet de l’artiste ? Maintenant que nous avons trouvé des peintures…
— C’est vrai, un artiste nous serait certes utile.
— Surtout, intervint Vandergelt, si l’on considère que vos travaux suscitent une grande hostilité. Il n’est pas à exclure que les vandales locaux, par pur dépit, détruisent les fresques.
— Faudrait-il encore qu’ils y aient accès ! dit Emerson d’un ton farouche.
— Vos gardes sont dignes de confiance, j’en suis sûr. Néanmoins…
— Inutile d’enfoncer le clou. Je ferai appel à la jeune fille.
Milverton s’était détendu depuis qu’il ne faisait plus l’objet de l’attention générale. Soudain, il se redressa tel un diable à ressort :
— Est-ce de miss Mary que vous parlez ? Voyons, Karl, vous n’y songez pas ! Comment pouvez-vous suggérer…
— C’est une artiste douée, protesta Karl.
— Je vous l’accorde. Mais il est hors de question de lui faire courir des risques.
Karl vira au rouge betterave.
— Des risques ? Was ist ? Was haben Sie gesagt ? Niemals würde ich… Pardonnez-moi, je m’oublie, mais l’idée qu’en danger je puisse mettre…
— Absurde, absurde ! cria Emerson, qui avait apparemment décidé de ne pas laisser le jeune Allemand terminer une seule de ses phrases.
— Qu’entendez-vous par là, Milverton ?
Milverton se leva. En dépit des graves soupçons que son étrange attitude avait éveillés dans mon esprit, je ne pus me défendre de l’admirer en cet instant : pâle comme un linge, ses beaux yeux bleus jetant des éclairs, sa virile silhouette dressée bien droite, il apaisa le brouhaha d’un geste théâtral.
— Comment pouvez-vous être aussi aveugles, tous ? Bien sûr qu’il y a des risques ! La mort mystérieuse de Lord Baskerville, la disparition d’Armadale, les menaces des villageois… Suis-je le seul d’entre vous à oser regarder la vérité en face ? Qu’à cela ne tienne ! Et soyez assurés que je ne me déroberai pas à mon devoir d’Anglais et de gentleman ! Jamais je n’abandonnerai miss Mary… ni vous, Lady Baskerville… pas plus que Mrs. Emerson…
Voyant qu’il perdait le fil de sa superbe envolée, je me levai et le pris par le bras.
— Vous êtes surexcité, monsieur Milverton. Selon moi, vous n’êtes pas complètement rétabli. Ce qu’il vous faut, c’est un bon dîner et une nuit réparatrice. Lorsque vous aurez recouvré la santé, ces fantasmes ne vous perturberont plus.
Le jeune homme m’observa, le regard trouble, les lèvres frémissantes. Je me sentis contrainte d’ajouter :
— Les indigènes m’appellent « Sitt Hakim », c’est-à-dire « la doctoresse ». Je sais ce qui est le mieux pour vous, croyez-moi. Votre propre mère vous donnerait le même conseil que moi.
— Voilà qui est parlé ! dit Vandergelt avec chaleur. Écoutez donc Mrs. Emerson, mon garçon, elle a du bon sens.
Subjugué par une personnalité plus forte (je parle de la mienne, bien entendu), Mr. Milverton inclina la tête d’un air soumis et se tint coi.
Toutefois, on ne pouvait gommer si aisément les effets de son esclandre. Pendant le restant de la soirée, Karl demeura silencieux et maussade ; les regards furieux qu’il lançait à Milverton montraient à l’envi qu’il ne lui avait pas pardonné son accusation. Lady Baskerville, elle aussi, semblait bouleversée. Après le dîner, Mr. Vandergelt la pria instamment de retourner à l’hôtel avec lui. Elle refusa dans un éclat de rire, mais, à mon sens, son rire sonnait faux.
Vandergelt prit congé, porteur d’un message qu’il avait promis de remettre à Mary. Tous les autres se retirèrent au salon. Je laissai Lady Baskerville servir le café, estimant que cette activité domestique lui calmerait les nerfs – ce qui n’eût pas manqué de se produire si les autres, à mon exemple, avaient adopté une attitude normale. Mais Karl bouda, Emerson s’enferma dans le silence impassible qui trahit son humeur la plus méditative, et Milverton était si nerveux qu’il tenait à peine en place. Je fus extrêmement soulagée d’entendre Emerson déclarer que nous devions tous nous coucher tôt, en raison de la dure journée de labeur qui nous attendait.
Lady Baskerville nous accompagna pour traverser la cour. Je remarquai qu’elle marchait tout près de nous, et je me demandai si elle avait peur de rester seule avec l’un ou l’autre des deux jeunes hommes. Y avait-il eu, dans l’éclat de Milverton, une menace voilée ? Le subit accès de colère de Karl avait-il fait prendre conscience à notre hôtesse qu’il n’était pas incapable de violence ?
Milverton nous suivit de peu. Je fus rassurée de le voir quitter le salon, non seulement parce qu’il avait besoin de repos, mais parce que je jugeai imprudent de laisser les deux hommes en tête-à-tête, eu égard à leur hostilité réciproque. Il marchait à pas lents, les mains dans les poches, la tête basse, et il était encore dans la cour lorsque nous atteignîmes nos chambres. Nous souhaitâmes courtoisement une bonne nuit à Lady Baskerville, qui ouvrit sa porte. À peine avait-elle franchi le seuil qu’un cri perçant, effroyable, jaillit de ses lèvres ; elle recula en titubant, les bras tendus devant elle comme pour repousser un agresseur.
Je m’élançai pour la soutenir tandis qu’Emerson s’emparait d’une lanterne et se ruait dans la chambre afin de déterminer la cause de son effroi. Comme de coutume, Lady Baskerville se montra bien peu reconnaissante de mes attentions. M’écartant rudement, elle se jeta dans les bras de Milverton, qui était aussitôt accouru.
— Au secours, Charles, au secours ! Sauvez-moi de… de…
L’envie me démangeait de la souffleter, mais elle avait le visage enfoui contre l’épaule de Milverton. À cet instant, un bruit incongru me parvint : c’était mon mari qui riait de bon cœur.
— Venez voir, Amelia !
Bousculant Lady Baskerville et Milverton, j’entrai dans la pièce.
Quoique plus petite que la chambre occupée précédemment par le lord, elle était de bonnes dimensions et décorée avec un raffinement tout féminin. Sous la fenêtre était installée une coiffeuse équipée de miroirs et de lampes en cristal. Debout près de la table, Emerson tenait haut sa lanterne.
Fermement campé au centre de la coiffeuse, parmi les petits pots contenant les produits de beauté de Lady Baskerville, trônait un énorme chat tigré. Sa silhouette et son attitude évoquaient de façon saisissante les nombreuses statues de félins qui nous sont parvenues de l’Égypte ancienne, et sa fourrure avait cette couleur brun-fauve que l’on peut admirer sur les peintures. L’animal se reflétait dans le miroir à trois faces, derrière lui, créant l’illusion que toute une meute de chats de l’Antiquité égyptienne nous faisait face. Malgré mon peu de compassion pour les femmes qui ont leurs vapeurs, je ne pus entièrement blâmer Lady Baskerville de sa réaction excessive. À la lueur de la lanterne, les yeux de la créature, semblables à de lumineuses flaques d’or, semblaient plonger leur regard dans le mien avec une froide intelligence.
Emerson est inaccessible aux nuances les plus subtiles. Il tendit la main pour chatouiller sous le menton le descendant de Bastet, la déesse-chat.
— Brave minou, dit-il en souriant. À qui peut-il bien appartenir ? Il n’est pas sauvage, regardez comme il est gros et bien soigné.
— Mais… c’est la chatte d’Armadale ! s’exclama Milverton.
Il avança dans la pièce, soutenant toujours Lady Baskerville. La chatte ferma les yeux en ronronnant et tourna la tête pour permettre aux doigts d’Emerson de la caresser sous l’oreille. Elle avait maintenant perdu son aspect inquiétant, et je ne voyais vraiment pas pourquoi Lady Baskerville avait fait un tel scandale, d’autant qu’elle connaissait cette chatte.
— Je me demande où elle était passée tout ce temps-là, dit Milverton. Je ne l’avais pas revue depuis la disparition d’Armadale. C’était lui qui s’occupait de Bastet mais, en fait, elle était un peu la mascotte de la maison. Nous avions tous de l’affection pour elle.
— Pas moi ! s’indigna Lady Baskerville. Une horrible bête sournoise, toujours à laisser sur mon lit des souris crevées et des insectes…
— C’est la nature des chats, intervins-je en regardant l’animal d’un œil plus favorable.
Je n’ai jamais particulièrement prisé les chats. Il me semble que les chiens sont plus anglais. Toutefois, je m’apercevais maintenant que les félins pouvaient se révéler d’excellents juges, chose qui se trouva confirmée quand celui-ci roula sur le dos et serra dans ses pattes la main d’Emerson.
— Précisément, dit Milverton en offrant une chaise à Lady Baskerville. Votre mari expliquait que les anciens Égyptiens domestiquaient les chats en raison de leur habileté à éliminer les rongeurs – un talent précieux dans une société agricole. Quand Bastet vous apportait ses souris, Lady Baskerville, c’était de sa part une attention délicate.
— Pouah ! grimaça Lady Baskerville en s’éventant avec son mouchoir. Sortez-moi d’ici cette épouvantable créature. Et assurez-vous, monsieur Milverton, qu’elle ne m’a point laissé d’autres « attentions » du même acabit. Où est ma servante ? Si elle avait été là, comme l’exigeait son devoir…
La porte s’ouvrit sur ces entrefaites, et le visage apeuré d’une Égyptienne entre deux âges apparut.
— Ah ! te voilà, Atiyah, dit Lady Baskerville d’un ton courroucé. Pourquoi n’étais-tu pas là ? Qu’est-ce qui t’a pris de laisser entrer cet animal ?
Je compris, à l’expression déconcertée de la femme, qu’elle entendait fort mal l’anglais ; néanmoins, la colère de sa maîtresse n’était que trop perceptible dans sa voix. Atiyah se mit à expliquer, dans un arabe bredouillant, que la chatte s’était introduite par la fenêtre et avait refusé de s’en aller. Lady Baskerville continua de l’admonester en anglais, Atiyah continua de geindre en arabe, jusqu’au moment où Emerson prit la chatte dans ses bras et gagna la porte d’un pas décidé, mettant un terme au spectacle.
— Tirez vos rideaux et couchez-vous, Lady Baskerville. Venez, Amelia. Rejoignez votre chambre, monsieur Milverton. Ridicule histoire ! conclut-il avant de sortir.
Dans notre chambre, Emerson posa l’animal par terre. Aussitôt, Bastet bondit sur le lit et entreprit de faire sa toilette. Je m’avançai vers elle, avec une certaine réticence – non par peur, mais parce que je n’avais jamais été très proche des chats. Comme je tendais la main, elle roula sur le dos et se mit à ronronner.
— Intéressant, remarqua Emerson. C’est là une position de soumission, Amelia ; en exposant son ventre vulnérable, elle montre qu’elle vous fait confiance. Elle est particulièrement peu sauvage. Je suis surpris qu’elle ait réussi à subsister seule si longtemps.
Cet aspect du problème m’avait échappé. Tout en grattant le ventre de la chatte (sensation fort agréable, j’en conviens), je soupesai l’argument.
— Emerson ! criai-je. Elle était avec Armadale ! Pensez-vous qu’elle pourrait nous conduire jusqu’à lui ?
— Vous ignorez tout de la nature des chats, répondit Emerson en déboutonnant sa chemise.
Comme pour lui donner raison, Bastet noua ses quatre pattes autour de mon bras et planta ses crocs dans ma main. Je la considérai avec stupéfaction.
— Lâchez-moi immédiatement ! dis-je d’un ton sévère. Peut-être considérez-vous cela comme une « délicate attention », mais je puis vous assurer que la bénéficiaire ne l’apprécie pas.
La chatte obéit aussitôt et me lécha les doigts en guise d’excuse. Puis elle s’étira. D’une série de bonds agiles, elle sauta par la fenêtre et disparut dans la nuit.
J’examinai ma main. Les crocs avaient marqué la peau, mais sans l’égratigner.
— Curieuse façon de témoigner son affection, dis-je. Cela étant, elle m’a l’air d’une créature très intelligente. Ne devrions-nous pas nous mettre à sa recherche ?
— C’est un animal nocturne, répondit Emerson. N’allez pas vous enflammer immodérément, Amelia, comme vous le faites chaque fois qu’un nouveau sujet captive votre imagination fertile. Laissez cette chatte se livrer à l’activité qui est celle des félins la nuit – une activité, permettez-moi d’ajouter, dont nous pourrions nous inspirer.
Toutefois, nous y renonçâmes. Terrassés par les fatigues de la journée, nous sombrâmes rapidement dans un sommeil si profond qu’aucun bruit extérieur ne vint troubler notre repos. Pourtant, au cœur de la nuit, quelques heures avant l’aube, non loin de notre fenêtre ouverte, Hassan le veilleur rencontra Anubis le chacal, dieu des morts, et se mit en route pour l’Occident.